Horoscope, Icebergs et autres absurdités boréales – Tikilluaritsi Kalaallit Nunaannut « Bienvenue au Groenland »

Depuis lundi, nous sommes arrivé.e.s à Ilulissat (ça veut dire Iceberg) après avoir erré dans les limbes climatiques de Nuuk, trimballé.e.s au gré des caprices d’un Groenland qui ne sait plus sur quel pied danser. Nous avons « volé »une voiture » juste un peu » le temps d’aller de l’aéroport à notre « Illu » (promis nous avons rendu la voiture en question, mais comme vous le voyez sur la photo nous étions bien contents d’être dans cette Ford fiesta glissant sur la neige)

Notre « illu » – ça veut dire maison – est très chouette. Merci à l’université de Bergen, Kerim, Eamon et Anais, de nous permettre de séjourner ici. C’est un grand espace, chauffé (ça c’est commode) avec des lits qui ont une fonction de lit, une cuisine sommaire mais avec un gaufrier en forme de coeur, des tables, des chaises, une douche avec de l’eau chaude, ça nous suffit largement. J’aime la douche et le lit, et aussi le gaufrier, j’espère juste arriver à mettre mon pantalon jusqu’à la fin du séjour. Il y a des enfants qui viennent frapper à la porte et qui demandent ce qu’il se passe. Mais comme on ne parle pas la même langue, on se retrouve à gesticuler bizarrement et à parler très fort. Ils ont l’air content qu’on soit là, ils courent partout comme des jeunes chien de traineau. Voilà, on en est là pour quelques jours.
Mais ce n’est pas tout. Concrètement, nous sommes toujours ballotté.e.s d’une certaine manière avec d’un côté, la nature en sursis, qui fond, qui craque, qui se fissure comme un vieux disque sous un diamant trop aiguisé et de l’autre, le progrès qui bétonne, qui goudronne, qui repeint l’avenir en nuances de zones industrielles et de fast-foods lumineux.
Et là, au milieu de tout ça, nous. Trois pauvres clampins perdus dans la neige molle avec plein de câbles partout et des casques sur les oreilles. À scruter l’horizon, micros tendus, essayant de capter ce qui existe encore avant que le bruit ne l’engloutisse. Nous étions venus chercher le silence de la glace, mais nous avons trouvé le vacarme du monde. Oui, nous autres, maudits humains, où que nous sommes sur Terre, on ne peut pas s’empêcher de faire du bruit. Et je le dis – poliment- : c’est très pénible. Silence ! ça tourne bordel de merde !

Et c’est là que Rob Brezsny, l’astrologue du Courrier International, me glisse à l’oreille :
“Le monde tient sur un subtil équilibre de forces opposées qui sont en réalité indissociables et complémentaires : ombre et lumière, détermination et renoncement, élévation et déclin, plein et vide, progrès et immobilisme… Rétablis l’égalité entre les deux moitiés de chaque unité pour générer des harmonies fertiles.”
D’accord, Rob. Mais comment rétablir l’équilibre quand la glace ne joue plus son rôle de miroir mais celui de flaque, quand elle ne reflète plus le ciel, mais seulement le bitume humide de la mondialisation ? Quand les enfants d’Ilulissat ne portent plus de beaux vêtements en peaux de phoque parce qu’ils ont trop chaud dans la neige noire polluée par les pots d’échappement ? Quand le vent ne siffle plus seul, mais accompagne les rugissements des moteurs de bateaux emmenant les touristes voir les derniers icebergs debout, avant qu’ils ne se couchent définitivement ?
Nous sommes venus écouter le chant de la glace, et nous avons trouvé le bruit de pelleteuse. Nous avons voulu tendre l’oreille aux murmures du silence polaire, et nous avons capté les bip-bip des caisses enregistreuses du Pissifik, supermarché du coin. Le Groenland n’échappe pas au paradoxe du monde : préserver ses traditions tout en embrassant la modernité. Construire des hôtels en bord de fjord pour attirer les amoureux du Grand Nord, tout en pleurant la fonte de la banquise qui rend ce même Nord de moins en moins grand.
Nous vivons en équilibre sur un fil, entre deux pôles qui se repoussent et s’attirent. Entre contemplation et exploitation. Entre folklore et bulldozers. Entre tempête d’air chaud et blizzard en grève.
Alors on observe. On capte. On enregistre. Et peut-être qu’un jour, dans quelques années, un archéologue du son tombera sur nos prises audio et se demandera :
“Mais comment diable ont-ils fait pour croire qu’on pouvait encore rétablir l’équilibre ?”

Ceci est le meilleur vin qu’on peut trouver à la supérette. C’est très racoleur comme nom je trouve mais c’est une des uniques raisons pour lesquelles je suis revenue au Groenland.

Dans tous les magasins populaires du quartier, il est possible d’acheter ce genre de plateau repas. Repas équilibré typique du chasseur-pêcheur, nous pouvons y trouver de la morue séchée dont le goût est digne des meilleurs hosties des messes bourguignonnes, de la crevette locale, du mattak caoutchouteux (peau et gras de baleine), des petits poissons séchés dont je ne connais pas le nom, du surimi industriel, et… une pomme.

scène typique de prise de son au milieu de la neige, entre 2 avions, 3 bateaux, 1 hélicoptère, 5 cris de chiens, et 4 touristes américains.

enfin seule !

je suis sympa, je termine avec cette photo jolie que j’ai baptisée modestement « coucher de soleil sur lit d’iceberg ».
Sulerpoq… (à suivre si vous ne parlez pas Groenlandais)
Je m’évade là-bas loin avec vous… merci pour nous partager ce pays de contrastes en fuite, si je comprends bien… À vite ! Smacks. Muriel